Les folles inventions de l’ancêtre du CNRS

Pour la science, n° 502, août 2019

 

pourlascience n502

 

"Paris, janvier 1917. Au cœur du premier conflit mondial, le républicain Jules-Louis Breton est nommé à la tête du tout nouveau sous-secrétariat d’État aux Inventions intéressant la défense nationale. Breton, qui déteste la bureaucratie et ses lenteurs, systématise l’emploi de la photographie précisément pour accélérer les processus et transformer une idée, d’où qu’elle vienne, en un objet défensif ou offensif utilisable le plus rapidement possible. Associées aux plans et aux rapports d’inventions, les images facilitent l’évaluation des projets tout en permettant d’en conserver la trace. Substituts des prototypes, elles sont faciles à ranger dans des dossiers et aisément communicables en commission. Au fil des jours et des expériences, les clichés s’accumulent comme autant d’observations peuplant un grand cahier de laboratoire virtuel. Ces milliers d’images nous confrontent aux méandres du progrès technique, aux vacillations parfois touchantes du processus même de création, qu’il s’agisse de survivre en temps de guerre ou de mieux vivre une fois la paix revenue.

Au service des inventions, elles ont joué un rôle administratif et pédagogique d’information, de démonstration, voire de publicité, jusqu’à sa disparition en 1938, quand l’Office national des recherches scientifiques et industrielles et des inventions (ONRSII), dont il faisait partie, a disparu au profit du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS. Bien que produites sans intention artistique, ces images ont d’indéniables qualités esthétiques et possèdent même ce que l’on pourrait appeler un style photographique, comparable à celui d’un auteur, alors même que les images ne sont jamais signées.

Il se trouve que, derrière ces clichés, se cachent deux réalisateurs phares des débuts du cinéma, Alfred Machin et Jean Comandon, opérant respectivement de 1917 à 1919 puis à partir de 1920. Leurs imaginaires cinématographiques modèlent l’archive des inventions, alternant gros plans, vues en plongée et mises en scène burlesques. L’archive visuelle frappe par sa fantaisie, ses touches d’humour et sa liberté à déjouer les codes de l’objectivité photographique. Le comique est d’autant plus inattendu que le contexte est militaire et scientifique. Comme au cinéma, les mises en scènes photographiques nous racontent des histoires…"


Éditeur : Pour la science, édition française de Scientific American (08/2019)
Langue : Français
ISSN 0 153-4092