Soleil Gris… C’est le titre de l’exposition arlésienne d’Éric Tabuchi et Nelly Monnier1 qui s’est ouverte sous un soleil de plomb, sur le site industriel de Ground Control, en bordure de la ville historique des Bouches-du-Rhône. Ce grand hangar, fournaise non climatisée que l’on ne visite jamais deux fois pendant les Rencontres d’Arles, célèbre festival de photographie, a fait exploser sa fréquentation : ce duo d’artistes a réussi le tour de force de construire une exposition – un tour de France photographique – qui soit tout à la fois accessible et pointue, ambitieuse et populaire.

« Le ciel gris est notre soleil, explique Nelly Monnier. C’est notre beau temps ». Pour elle, comme pour le photographe Éric Tabuchi, son compagnon de route, d’art et de vie, « le gris c’est l’appel de la photographie : c’est le signe qu’il est temps de prendre la route ». Le temps maussade et les ciels gris couverts sont en effet le moment idéal pour mettre en valeur les objets photographiés – ici les bâtis et les paysages de la France périphérique ou rurale –, sans qu’ils soient perturbés par des effets d’ombre et de lumière. Ce désir de neutralité a toute une histoire : il renvoie à la photographie documentaire et scientifique et à ses imaginaires, depuis le drap du photographe ambulant devant lequel des milliers de villageois prirent la pose, jusqu’aux fonds neutres des portraits judiciaires, en passant par les tentures installées autour des objets muséologiques ou scientifiques pour les valoriser ou les objectiver, ainsi qu’aux ciels également gris recherchés par Bernd et Hilla Becher. Cet autre couple de photographes, allemand celui-là, redoutait, comme Tabuchi et Monnier, la lumière trop franche et bannissait de ses clichés toute source de distraction, individus, nuages ou fumées, privilégiant une lumière diffuse, sans effets d’ombre trop marqués […].

Luce Lebart